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Entretien avec Ilse Noens, quatrième lauréate de notre Passwerk Lifetime Achievement Award

A cause de la COVID-19, il ne nous a pas été possible cette année d’organiser une cérémonie digne de ce nom pour la remise de notre quatrième Passwerk Lifetime Achievement Award. Compte tenu du contexte et de l’agenda particulièrement chargé d’Ilse Noens, il a été convenu d’un commun accord de ne pas faire rédiger de biographie à son propos. En contrepartie, notre lauréate a pu choisir une œuvre caritative, qui recevra l’équivalent du montant de cet ouvrage. À circonstances exceptionnelles, décisions exceptionnelles, mais nous espérons que le Lifetime Achievement Award pourra à nouveau être décerné normalement en 2021.




À défaut de biographie, nous avons réussi a interviewé Ilse Noens, afin que chacun puisse découvrir sa personnalité et les valeurs qu’elle incarne.

 

Chère Ilse, toutes nos félicitations pour votre Passwerk Lifetime Achievement Award. Un prix qui vous est décerné pendant « l’année de la COVID-19 ». Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur vos activités professionnelles ?




Il a fallu relever des défis sur plusieurs fronts. L’enseignement universitaire a dû embrayer très rapidement pour passer du présentiel (quasi) complet au distanciel complet, suivi du « blended » (une combinaison de présentiel et de distanciel) avant d’en revenir à nouveau au distanciel complet. Ce n’est pas évident de donner cours de manière interactive à de grands groupes d’étudiants et de conserver leur attention à distance. Notre capacité d’adaptation a également été mise à l’épreuve au niveau du travail clinique avec des enfants, des jeunes, des adultes et des familles. Il a fallu ajuster sans cesse le fonctionnement de notre centre de pratique PraxisP en fonction de l’évolution parfois contradictoire de la réglementation en matière de bien-être et de soins de santé, tout en garantissant la continuité des soins pour nos patients. En outre, la collecte de données en face à face aux fins de recherche scientifique a été complètement interrompue pendant un moment. Entre-temps, la plupart des recherches ont heureusement pu reprendre. En cette période de crise sanitaire, nous avons également étudié les conséquences de la pandémie de COVID-19 dans le domaine de la santé mentale des adultes, avec ou sans autisme. C’était et c’est toujours une période difficile, mais j’en ai beaucoup appris en peu de temps. Je me réjouis également que la courbe de l’enseignement et de l’assistance en ligne se soit accélérée par la force des choses.




Quel effet cela vous fait-il d’avoir remporté cet award ?




Je suis surprise, honorée et très reconnaissante. Ce n’est pas ma première récompense, mais c’est la première fois qu’elle m’est décernée par un organisme ancré dans la pratique et non par une université. Il me paraît très important que l’université se mette au service de la société et à ce titre, cette reconnaissance issue de la pratique est très précieuse pour moi. J’ai toutefois dû m’habituer à l’idée d’un « lifetime achievement award ». Je me trouve encore très jeune (en tout cas d’esprit 😊) pour ce type de récompense. J’espère faire reculer encore quelques limites au cours de ma « lifetime » pour permettre aux personnes autistes de participer pleinement à notre société. En ce sens, je reformule intérieurement cette récompense en « prix d’encouragement ».




Vous présidez le fonds « ICT Community for ASD » depuis sa création. Que représente-t-il pour vous ?




Les autres membres du comité et moi-même sommes ravis de pouvoir donner un coup de pouce à de belles initiatives, tant en Belgique francophone que néerlandophone. Le fonds offre une sorte de « capital initial » à des projets innovants pour et avec les personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique. Grâce à ce fonds, Passwerk joue un rôle unique en faveur d’une image plus positive et de l’inclusion des personnes autistes.




Quelles ont été vos grandes sources d’inspiration dans le monde de l’autisme ?




Nombreuses sont les personnes qui m’ont inspirée, de près ou de loin. Mais si je dois faire un choix, j’épinglerais ma promotrice à l’Université de Leiden, la professeur Ina van Berckelaer-Onnes. C’est elle qui m’a formée en tant qu’enseignante, scientifique, soignante et être humain. Elle m’a appris à être attentive aux talents et aux besoins de soutien des personnes autistes, mais aussi de leur parents, frères, sœurs et autres proches. Ina van Berckelaer-Onnes a placé l’autisme dans une perspective orthopédagogique. Avant, « l’autisme » était surtout « l’enfant » des médecins et des psychologues. En outre, Ina a procédé d’une manière particulièrement positive, impliquée et enthousiaste, en s’alliant à toute la communauté concernée.




Cette année, compte tenu des circonstances, il a été conjointement décidé à titre exceptionnel de verser le montant habituellement consacré à la biographie du lauréat à une œuvre caritative de votre choix. Quelle œuvre avez-vous choisie et pourquoi ?




Il y a un très grand nombre d’initiatives que j’aimerais soutenir, mais j’ai finalement opté pour LAVA (Lees- en Adviesgroep Volwassenen met Autisme – groupe de lecture et de consultation pour les adultes autistes). LAVA se compose d’adultes autistes qui ne répondent pas à l’image stéréotypée que l’on se fait aujourd’hui de l’autisme. Ils s’engagent pour donner une voix supplémentaire à l’autisme dans le domaine de la recherche scientifique et de la conception sociale ainsi que pour redessiner les contours de l’autisme. Et ce, ils le font expressément non pas à la place des autres voix actives dans le champ de l’autisme, mais aux côtés de celles-ci, dans un esprit positif et constructif. En étroite collaboration avec l’association flamande pour l’autisme (VVA), ils incarnent le principe du « Rien sur nous sans nous ».




Votre nom va être immortalisé sur notre plaque commémorative, dans la salle qui porte votre nom. Quel effet cela vous fait-il ?




Cela m’embarrasse un petit peu. C’est mon nom qui figure sur cette plaque, mais c’est véritablement un travail collectif. Je considère en ce sens que le PLAA ne me revient pas à titre personnel, mais aussi au nom des personnes avec qui je collabore quotidiennement dans le contexte de l’autisme : les postdoctorants, les chercheurs en doctorat et autres collaborateurs de notre groupe, qui contribuent chaque jour à donner de la forme et du contenu à la recherche, les collègues de Leuven Autism Research (LAuRes) et de l’Academische Werkplaats Autisme (AWA), les partenaires de la Taskforce Autisme et bien d’autres.




Avez-vous encore des objectifs à concrétiser dans votre domaine de travail ?




La Flandre est très active en matière de recherche fondamentale liée à l’autisme. C’est utile et nécessaire, mais j’aimerais que la recherche soit plus axée sur les priorités de la communauté de l’autisme, et ce de manière plus participative. C’est pourquoi je suis très heureuse que le gouvernement flamand nous ait accordé un financement pour l’Academische Werkplaats Autisme (AWA). Nous y travaillons en dialogue avec les personnes autistes, leurs référents et les décideurs politiques, en étroite collaboration avec les centres de recherche et acteurs de terrain pour développer, évaluer et améliorer de bonnes pratiques pour les personnes autistes (et leur entourage). Quels sont les modèles efficaces en matière de sensibilisation, prévention, soutien, accompagnement et traitement ? Quelles sont les conditions pour qu’ils fonctionnent ? Nous voulons que les connaissances qui en découlent soient largement diffusées en libre accès. Les premiers projets vont s’achever en 2021 ; nous espérons que le gouvernement flamand nous donnera l’opportunité de poursuivre notre travail. Dans l’espoir d’inspirer d’autres chercheurs à travailler de manière (encore plus) participative.




Quels sont les grands défis pour une personne autiste dans notre société ?




Les obstacles sont nombreux pour les personnes autistes. Par exemple sur le plan de l’enseignement, de l’emploi, du logement, de la santé, du relationnel et de la sexualité… Elles semblent particulièrement fragiles pendant les phases transitoires de la vie (première rentrée scolaire, passage dans l’enseignement secondaire ou supérieur, premier logement, décès, naissances, licenciement, mise à la pension, etc.). C’est surtout le manque d’activités quotidiennes adéquates qui entraîne des problèmes supplémentaires, par exemple en matière de santé mentale. Sans oublier un défi majeur : modifier les stéréotypes liés à l’autisme dans notre société.




Quels sont les grands clichés par rapport à l’autisme ?




L’illustratrice Stephanie Dehennin et l’auteure Elise Cordaro l’expliquent mieux que moi. Ces expertes du vécu démontent huit clichés dans une petite vidéo de six minutes tournée pour le Charlie Magazine : Voorbij het vooroordeel: 8 clichés over autisme ontkracht: Charlie magazine (https://www.charliemag.be/ mensen/cliches-autisme)




Selon vous, quelles sont les principales priorités en matière d’autisme ?




À l’initiative du ministre Jo Vandeurzen, nous avons formulé en 2016 toute une série de recommandations politiques avec la Taskforce Autisme. Ces recommandations recouvrent des actions à différents niveaux, en prenant l’inclusion comme point de départ et l’expertise comme base de travail pour développer une approche professionnelle, un signalement précoce et un diagnostic de qualité, un accompagnement tout au long de la vie, une formation et un travail adaptés, etc. Politiquement, des étapes ont été franchies grâce au Plan stratégique et au Plan d’action Autisme du gouvernement flamand, mais il reste encore beaucoup de pain sur la planche. Il faut du courage politique et une collaboration qui transcende les domaines politiques et les limites partisanes pour dégager les budgets nécessaires.




Qui souhaitez-vous remercier en particulier pour le travail que vous avez accompli ?




Comme je l’ai dit précédemment : mes nombreux collègues, d’hier et d’aujourd’hui. Mes parents, qui m’ont inculqué l’engagement social dès le biberon. Ma famille et mes amis pour leur attention et leur soutien. Mon conjoint et mes enfants, qui me laissent vivre mon travail passionnément, tout en criant « stop » au bon moment. Sans oublier les nombreuses personnes autistes qui m’accompagnent, m’inspirent et me touchent.


Avez-vous un message à transmettre à nos lecteurs ?


Embrassez la diversité. C’est un enrichissement pour la société.




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